Le podium de cette Solitaire, qu’est-ce qu’il représente pour vous ?
« J’ai en tête une photo prise peu après l’arrivée avec Corentin, Loïs et Basile, qui sautent sur le trophée de la Solitaire. J’y vois trois navigateurs solides qui viennent d’accomplir leur objectif, une véritable échéance dans leur carrière sportive. Ils exultent, ils sont dans le partage car c’est dans leur tempérament. On y voit de la légèreté, de la joie et c’est encore plus beau quand on connait l’engagement qui a été nécessaire.
Les figaristes sont des marins complets et ils sont des équipiers recherchés. D’ailleurs, presque tous les skippers du Pôle vont participer à la Transat Jacques Vabre. Ils sont embarqués sur de beaux projets où ils ont une valeur ajoutée importante. »
Quel est le point commun entre eux ?
« Ce sont tous les trois des instinctifs, des gens qui naviguent avec beaucoup de feeling et qui ont réussi à mettre une bonne dose de rationalité dans leur fonctionnement pour performer. Cela démontre que la course au large reste ouverte à tous les profils et que rien n’est écrit d’avance. »
Qu’est-ce que vous retenez de ce podium ?
« L’une des leçons de ce podium, c’est que Corentin, Loïs et Basile ont participé tous les trois à la Transat Paprec en double mixte au printemps. Certains skippers préfèrent se concentrer sur La Solitaire et font l’impasse sur la Transat. C’est une erreur car cette course rend plus fort. Tu passes 20 jours en double, à échanger avec quelqu’un d’autre. Tu confrontes tes idées, tes points de vue et ça aide pour la suite. C’est un processus qui s’enclenche et que tu poursuis même quand tu es tout seul. Par exemple, je suis convaincu que Loïs a profité de l’échange qu’il a eu avec Charlotte (Yven) pendant la Transat. »
Il y a aussi la performance de Victor Le Pape, premier bizuth :
« La place de premier bizuth de Victor Le Pape est belle. Il y avait du niveau cette année parmi les bizuths et la bataille a été corsée. Lors de la première étape, Victor a été dans la découverte. Ensuite, lors de la seconde étape, il a réussi à éviter la punition que d’autres ont pris et, sur la troisième étape, ça a été plus dur mais il termine cette Solitaire dans le top 10. Ça pose le débat. Victor était le seul bizuth du Pôle cette année et on sait que tous ceux qui ont remporté ce classement font de beaux parcours par la suite. »
La première étape a failli être fatale pour plusieurs skippers du Pôle ?
« On savait qu’il y avait de sérieux clients sur cette Solitaire. La première étape aurait pu coûter cher car le risque quand on a plusieurs bateaux à ce niveau-là, c’est de rester à se regarder. Avec Erwan Tabarly, c’est un point sur lequel on insiste mais c’est compliqué une fois qu’ils sont en mer. Ils ont beaucoup de respect, voire d’admiration entre eux et ils ont parfois du mal à remettre en cause ce que fait l’autre. Quand tu as un Basile Bourgnon ou un Corentin Horeau que tu sais en forme et inspiré devant toi, c’est compliqué de faire différemment. Au niveau des Scillys, ils font une dizaine de milles en trop à cause de ça. Vu de la terre, ça nous parait énorme mais en mer, ça passe très vite. C’est d’ailleurs notre rôle de confronter notre vision à la leur. »
Cette édition est aussi celle de la triche ?
On ne peut pas parler de cette édition sans parler de triche. Pour nous, ce qui s’est passé est inacceptable. En début d’année, nous posons les règles de fonctionnement du groupe et tout le monde joue tous avec des règles identiques, même à l’entraînement. Respecter les règles, c’est respecter ses adversaires, ses partenaires, tout le monde. La déclaration sur l’honneur, c’est quelque chose auquel j’ai toujours cru et qui est très largement respecté. Ce qui fait la valeur d’un figariste, c’est sa capacité à recaler une situation météo, à établir ce que l’on appelle la pile stratégique avec les paramètres de courant, de vent et d’effets de site. La finesse du figariste, c’est de comprendre ça.
Il fallait être capable de déceler cette triche :
La Direction de Course a pris la bonne décision en décidant de vérifier tous les bateaux ce qui permet un verdict incontestable. Il faut une grosse compétence technique et c’est le cas de cette Direction de Course. C’est aussi possible parce qu’elle est en mer, au plus proche de ce que vivent les marins. Le directeur de course doit être disponible, pertinent dans ses analyses et ils sont peu à cocher toutes ces cases. A ce titre, je donne un grand coup de chapeau à Yann Château ainsi qu’aux arbitres qui sont intervenus rapidement, avant même la remise des prix. On sait que, quand on fouille un ordinateur, on n’a qu’une seule envie, c’est de ne rien trouver car rien ne doit mettre le sport en péril. Notre sport a ses défauts mais au moins, le problème a été abordé frontalement.
Le Pôle Finistère Course au Large accueille aussi de plus gros bateaux ?
Nous venons justement d’organiser un stage avec les Ultims et ça a été fabuleux. Ils étaient lancés à 40 nœuds, dans la nuit noire à quelques longueurs les uns des autres. Ils ont joué le jeu de l’échange puisque tous les skippers ont participé au debriefing en commun, ce qui constitue l’ADN du Pôle. Notre force est de mettre en place des situations qui permettent aux coureurs d’être à leur meilleur niveau et de se tirer mutuellement vers le haut.
Quelle est la suite pour le Pôle ?
Aujourd’hui, on se projette déjà sur le Vendée Globe. Le départ de la Transat Jacques Vabre est dans trois semaines mais la préparation est déjà terminée – ou presque – pour nous. Le niveau en IMOCA est hallucinant comme on vient de le voir sur le Défi Azimut. La question que l’on se pose en tant qu’entraîneurs, c’est : « comment faire encore mieux ? » Quand ils vont rentrer de la Transat Jacques Vabre, les skippers seront dans un tout autre état d’esprit. Dans quatre mois, on s’adressera à des marins qui prépareront un tour du monde en solitaire et sans escale, ça n’est pas du tout pareil que de préparer une transat en double. Leur état d’esprit ne sera pas le même et c’est à nous d’être à leur hauteur.